Jour 1


Publié le 27 décembre 2022

Écriture   Histoire

Levée du voile dans la douleur.

Lecture 8 min

Bip…

Bip…

Bip…

Ce son vibrait à mes oreilles pour me rappeler doucement à la réalité, comme une main tendue, ou plutôt une tape sur la tête.
Les paupières lourdes et la vision embrumées, j’essayais de me remémorer où j’étais.
Ma respiration était difficile, je déglutis plusieurs fois pour m’aider à reprendre mon souffle.

Je commençais à distinguer les contours de la pièce, sa blancheur m’aveuglait et m’empêchait de trop ouvrir les yeux.
Petit à petit, j’observai que j’étais dans un lit, puis ce sont les placards au fond de la chambre qui faisait leurs apparitions.
Je tournais doucement la tête vers la droite et j’aperçus l’origine des sons : des appareils électroniques avec des tas de petites lumières.
Un peu plus loin, je remarquai une porte, avec, le long du mur, de grandes vitres cachées par des rideaux.
Je regardai ensuite vers la gauche et je constatai une chaise et un canapé où était disposé un manteau sombre et quelques vêtements.
Les détails étaient encore difficiles à percevoir.

En décidant de me lever, je sentis les câbles accrochés à mes bras. Ils me bloquèrent comme pour me rappeler à l’ordre. Je n’avais pas un autre choix que de me rallonger.
Après avoir retiré l’aiguille, les quelques pinces et autres fils branchés sur mon corps, je soulevai timidement mes jambes vers la droite pour pouvoir toucher le sol.

Mais en essayant de prendre un faible élan, tout mon poids s’effondra sur le carrelage froid, et je ne puis retenir un cri qui venait du fond de mes entrailles.
Une déchirure au ventre, comme si j’avais été éventré. Je tombai à genou, mes bras autour de mon ventre en déglutissant plusieurs gorgées de salive mêlée de sang. Je ressentis un son strident et des flashs de couleurs, tels des éclairs qui s’emparaient de moi.
Mes yeux se refermèrent et quelques instants plus tard, la douleur s’évanouit.

Je pris le temps de reprendre mon souffle, et quand je réouvris les yeux, je sursautai.
Un visage était au-dessus de moi, une personne vêtue d’une tunique blanche. Son visage était chaleureux mais son inquiétude transpirait de ses yeux.
Ses lèvres s’agitaient, je mis quelques minutes à réussir à comprendre les mots qui sortaient de sa bouche.

« Comment allez-vous ? J’ai entendu un cri. Vous n’êtes pas censé vous lever avant d’avoir l’aval du personnel soignant. Vous n’êtes pas en état. »

« Mon état ? » me demandais-je.

« Qu’est-ce que j’ai encore foutu ? ». Cette phrase résonnait dans ma tête.

Je pris appui sur le lit pour me relever doucement. Je sentais ses yeux me scruter de haut en bas.
Je me tournai légèrement vers elle et je perçus une sorte d’aura de couleur bleue qui semblait briller autour d’elle, mais aussi une teinte jaune pâle.
Mais je n’eus pas le temps de comprendre le sens de tout cela.
Sans oser me toucher, je l’entendis s’éloigner d’un pas rapide en laissant la porte entrouverte.

« Punaise, mais qu’est-ce que j’ai encore foutu ? »

Je regardais autour de moi, le décor ressemblait à une chambre d’hôpital.
Ma tenue me confirma cette idée.
Je ne me sentais pas à l’idée de rester ici plus longtemps, et encore moins de parler à qui que ce soit.
Je me changeai rapidement, et je revêtis mon manteau.
Je regardai discrètement à travers l’entrée de la chambre, personne n’était présent.
Le couloir s’étendait à droite sur plusieurs dizaines de mètres, avec au fond une double porte.
De l’autre côté, le couloir s’arrêtait rapidement et continuait sur la droite.

Sans aucune idée d’où pourrait être la sortie, je partis à l’opposé pour fuir la personne qui venait de partir.
J’avais du mal à mettre une jambe devant l’autre, elles n’étaient pas très coopératives, je m’appuyais sur les murs comme pour réapprendre à marcher.
Une fois arrivé au bout du couloir, j’entendis une porte s’ouvrir de l’autre côté.
Je jetai un coup d’œil et aperçus plusieurs personnes qui s’avancèrent rapidement.

« Attendez » entendis-je.

Je tournai à droite en accélérant le pas.
Au fond du nouveau couloir, je vis un panneau qui indiquait l’accueil sur la gauche, et je me pressai vers celle-ci.
C’était une petite pièce avant un bureau en face de la porte d’entrée, et quelques chaises étaient dispersées à gauche.
Je croisai le regard de la personne assis à son poste, mais elle n’eut pas le temps de se lever que j’étais déjà dehors.
Je pris quelques secondes pour reprendre mon souffle de cet effort dont je ne me croyais pas capable.
Le soleil allait donner congé, la rue n’était pas très vivante, je m’empressai de prendre par la droite pour m’éloigner de cet endroit.

Après quelques centaines de mètres, j’aperçus un tram arrivé et je bondis dedans.
Quand il partit, j’aperçus environ 3 personnes qui sortaient d’une rue et qui regardaient aux alentours frénétiquement, mais heureusement elles ne m’avaient pas remarqué.
Le tram était rempli de personnes bien habillées qui étaient plongées dans leurs journaux. Je m’essayai à côté d’une d’entre elles, et j’observais le tram traverser un pont pour arriver sur une grande place.

Je m’assis sur un banc pour reprendre mon souffle et me poser un petit peu.
Je commençais à prendre la mesure des évènements et le fait que je n’avais aucun souvenir de ces derniers jours, ni même des dernières semaines ou années.

Je n’avais plus aucun souvenir.

« Comment cela est-il possible » ? me demandais-je.

« Que met-il arrivé ? »

Plus je fouillais dans ma mémoire et plus je me rendais compte du vide sidéral dans lequel j’étais plongé. Je tournais des pages vierges et contemplais une silhouette sans aucun visage.
Je restai plusieurs dizaines de minutes sidéré, à contempler le vide, sans réponse à toutes ces questions qui me traversaient.

Puis je repris doucement les esprits et je commençai à fouiller mes poches.
Je trouvai un portefeuille avec à l’intérieur une carte d’identité.
On pouvait lire que je m’appelais Jaden Alchemant, que j’étais née le 10 octobre 1875 à Nantes, et donc j’avais 26 ans.
Je découvrais aussi que j’habitais au 42 place Carnot et que j’étais concepteur d’automates.
Je trouvai aussi quelques billets, une clé que je supposais être celle de chez moi, et un plan de Lyon avec quelques lieux entourés au crayon.

Avec ces informations, je me décidai de rentrée chez moi.
Avec un peu de chance, je pourrais y voir plus clair et retrouver des souvenirs.
Je m’avançai près d’un immeuble pour découvrir que j’étais sur la place Bellecour.
Puis j’avançai sur la rue Victor Hugo, pour me diriger vers la place Carnot.

Une fois arrivé devant mon appartement, j’ouvris la porte avec une certaine hésitation, mes mains tremblotaient.
Je ne savais pas si j’avais peur de trouver quelque chose qui ne me plairait pas, ou si c’était seulement l’émotion de la situation dans laquelle je me trouvais.
En ouvrant la porte, je ressentis une vague de chaleur qui m’envahit progressivement.

Je fis quelques pas en tâtonnant pour trouver un endroit pour m’assoir, mais ma vision commençait à se troubler et se teinter d’une couleur rougeâtre.
Ma respiration commença à devenir difficile et mon cœur s’accélérait.
Je sentis des gouttes perler de mon front.
Je peinais à localiser les différents meubles de la pièce, qui s’agitaient et s’entremêlaient.

Puis un courant d’air entra et fit claquer la porte. Un bruit sourd frappa mon crâne et je mis les mains sur mes oreilles comme pour étouffer le bruit qui résonnait en moi.
Un cri intérieur qui cherchait à s’échapper sans trouver aucune porte de sortie.

« Qu’est-ce qui m’arrive ? », me demandais-je

Je sentis mes jambes faiblir et la douleur aux ventres me reprendre. Je tombai sur les genoux, mes mains contre le sol, portant le poids de mon corps appelé par la gravité.

Des larmes se mirent à couler de mes yeux.

« Qu’est-ce qu’on a fait pour mériter cela ? » entendis-je.

Je sentis petit à petit mon attention se disperser et je n’arrivais plus à garder les yeux ouverts.
Mes bras commençaient à se détendre, et mon corps tomba sur le côté.
Mes yeux au niveau du plancher se fermèrent progressivement.

Dans le noir total de mon esprit, une petite voix discrète se faisait entendre, comme un son venant d’un profond tunnel.
Et pendant quelques secondes, le temps sembla s’arrêter.
J’aperçus une ombre, une chose invisible qui semblait m’épier, une présence à la fois absente et envahissante.

« On a que ce qu’on mérite »

« On peut tout fuir, sauf ça »

« On a beau courir, il nous rattrapera toujours »

« On a beau se cacher, il aura toujours un œil sur nous »

« Pourquoi lutter ? À quoi bon se battre ? »

« Regarde les choses en face, on a que ce qu’on mérite »

Peu importe où j’allais, son emprise ne faisait que grandir.
Jusqu’au moment où je semblais me noyer.
Ce dernier instant d’un semblant de lucidité s’envola, et le sommeil m’emporta.